Volume 5 Numéro 13 - 15 décembre 2006

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SOMMAIRE

Enjeux-ÉNERGIE
> Québec se dote d’une loi pour appliquer sa nouvelle stratégie énergétique
> Focus : L’Ontario à l’avant-garde avec ses tarifs de rachat
> États-Unis : L’IRS innove dans le financement des énergies renouvelables
> Cellules PV : un rendement record qui dépasse 40 %


Enjeux-CLIMAT
> Nairobi : un échec temporaire ?
> Système d’échange de quotas d’émission : Bruxelles rappelle à l’ordre les pays de l’UE
> France : les petits émetteurs entrent sur le marché du carbone
> La Cour Suprême des États-Unis face aux changements climatiques


À PROPOS du bulletin

Le bulletin Enjeux-ÉNERGIE est publié par le Centre Hélios, une société indépendante de recherches et d'expertise-conseil en énergie.

Les travaux du Centre sont axés sur l'analyse et la conception de stratégies, de politiques, d'approches réglementaires et de mesures économiques favorisant le développement durable et équilibré du secteur énergétique.

Les clients du Centre incluent les gouvernements, les organismes d'intérêt public et les producteurs et distributeurs d'énergie, parmi d'autres. Le Centre Hélios est un organisme à statut charitable reconnu par Revenu Canada et Revenu Québec. Tout don versé au Centre est déductible pour fins d'impôts.

- Parution toutes les trois semaines -

Coordonnateur :
Alexis BEAUCHAMP

Équipe de rédaction :
Alexis BEAUCHAMP, Sophie GEFFROY, et Philip RAPHALS

Production :
Sophie GEFFROY


REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier les partenaires suivants pour leur appui à cette publication :


 


 


Nous remercions également nos abonnés corporatifs :

> Environnement Canada
> Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L.
> Mouvement Desjardins
> Innergex II

Nous tenons aussi à remercier la Fondation EJLB pour son soutien à Enjeux-ÉNERGIE.

Politiques et plans
Québec se dote d’une loi pour appliquer sa nouvelle stratégie énergétique

La loi 52, adoptée le 13 décembre, donne suite à la stratégie énergétique 2006-2015 dévoilée par le ministre des Ressources naturelles Pierre Corbeil en mai dernier. Elle officialise plusieurs changements institutionnels et explicite le cadre légal de la redevance issue de la vente des hydrocarbures, qui servira à financer les programmes de lutte contre les changements climatiques.

L’Agence de l’efficacité énergétique (AEE) sera dorénavant responsable d’assurer la promotion et le développement des nouvelles technologies énergétiques, en plus des mandats qu’elle assume déjà en efficacité énergétique. Elle devra soutenir financièrement les entreprises et les groupes de recherche oeuvrant dans ces domaines et mettre en place des programmes d’information et de promotion.

L’AEE devra par conséquent préparer un plan triennal en consultation avec les acteurs de ces secteurs, qui sera soumis au gouvernement pour approbation. Une fois le feu vert obtenu, la Régie de l’énergie déterminera l’enveloppe budgétaire jugée adéquate pour permettre à l’AEE de mettre en oeuvre son plan. En outre, l’Agence doit fournir à la Régie un rapport annuel faisant état de ses progrès dans l’application du plan, en plus de conclure une convention de performance avec le ministère des Ressources naturelles.

Sur papier, les nouveaux pouvoirs de l’AEE s’inscrivent donc dans un cadre procédural qui semble relativement lourd. Le jumelage des mandats touchant l’efficacité énergétique et les nouvelles technologies, inspiré du modèle de la New York State Energy Research and Development Authority, paraît toutefois être un pas dans la bonne direction.

Tel qu’annoncé dans le plan de lutte contre les changements climatiques, la Régie déterminera par règlement le barème des redevances annuelles sur les hydrocarbures. Cette taxe sur le carbone sera établie selon les émissions de CO2 émises par les différents combustibles : le gaz naturel sera donc moins imposé que le pétrole lourd. Toute société ou personne qui distribue, au Québec, des carburants ou combustibles émettant des GES est visée par cette taxe.

Par ailleurs, la stratégie énergétique 2006-2015 annonçait l’intention du gouvernement de soumettre les nouveaux projets énergétiques à une évaluation de leur justification énergétique et économique. Les projets importants devaient être évalués par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement mais aussi par la Régie de l’énergie. Or, cet ajout au processus d’analyse des projets énergétiques ne se trouve pas dans la loi 52. Les raisons de son omission n’ont pas été expliquées.

La loi 52 officialise la plupart des éléments d’une stratégie énergétique ambitieuse, y compris les redevances annuelles sur la vente d’hydrocarbures, qui devraient rapporter environ 200 M$ au gouvernement. Il sera d’ailleurs intéressant d’observer la réaction du gouvernement à l’annonce, par l’Institut canadien des produits pétroliers, que ses membres prévoient refiler la facture de cette redevance aux consommateurs.

> Pour en savoir plus
[Projet de loi 52]
[Analyse juridique du projet de loi 52]
[Stratégie énergétique du Québec]
[article]


Focus
L’Ontario à l’avant-garde avec ses tarifs de rachat

Le gouvernement McGuinty a récemment dévoilé les détails de son programme de tarifs de rachat, qui positionne la province comme chef de file en Amérique du Nord dans le domaine. Le tarif de base de 11 ¢/KWh, entériné par des contrats d’une durée de 20 ans, devrait permettre de développer rapidement les sources d’énergie renouvelable décentralisées, comme l’énergie éolienne, les panneaux solaires et la biomasse. Les projets ne peuvent dépasser 10 MW, mais aucune limite n’a été fixée par le gouvernement quant à la quantité totale d’électricité pouvant provenir de ce programme.

Il est important de souligner que ce tarif s’applique à la quantité d’électricité livrée au réseau de distribution ontarien, et non à la capacité de production des installations, ce qui diminue les risques pour le gouvernement qu’un projet ayant gagné un appel d’offres ne se réalise pas.

Les sources qui ne sont pas intermittentes (microcentrale hydroélectrique ou génératrice carburant à la biomasse, notamment) se voient par ailleurs accorder une rétribution additionnelle de 3,52 ¢/KWh pour l’électricité fournie au réseau durant les heures de pointe (11h AM à 7h PM). Ces installations doivent fournir de l’électricité au réseau pour un minimum de 80 % des heures de pointe durant l’année pour pouvoir jouir du tarif bonifié. L’électricité de source photovoltaïque profite aussi d’un tarif spécial, 42 ¢/KWh, mais ce tarif ne sera pas ajusté annuellement face à l’inflation, comme le sera le tarif de base.

En effet, 20 % du tarif de base sera indexé à l’indice des prix de consommation. À première vue, le taux de 20 % semble bas, surtout comparativement aux systèmes en vigueur en Grèce, en Espagne et en Irlande, où 100 % du tarif est indexé à l’inflation. Par contre, les tarifs de rachat allemands, souvent cités en exemple dans le monde des énergies renouvelables, ne sont aucunement indexés.


Un système avantageux

Le « programme d’offre standard » pour les énergies renouvelables de l’Ontario s’inscrit dans une nouvelle tendance en Amérique du Nord. L’État de Washington a déjà mis en place un système du même genre et l’Île du Prince-Édouard prépare actuellement un programme similaire. Selon l’expert en énergie Paul Gipe, qui a directement contribué à la mise en place du programme par le gouvernement McGuinty, l’Ontario vient de se doter de « la politique en énergie renouvelable la plus progressive en Amérique du Nord depuis deux décennies ».

Ces tarifs de rachat comportent plusieurs avantages, selon M. Gipe. Il s’agit d’un système simple, où le prix et la durée des contrats devraient être suffisants pour favoriser un développement important des filières d’énergie renouvelable. L’Union des municipalités du Québec vient d’ailleurs d’adopter une résolution demandant au gouvernement québécois de mettre en place un mécanisme similaire pour le bloc de 250 MW d’énergie éolienne annoncé dans la stratégie énergétique 2006-2015.

Cette approche permet également à plusieurs acteurs (fermiers, coopératives, Premières Nations) de participer activement au développement des ressources d’énergie renouvelable, alors que ceux-ci pouvaient difficilement le faire sous le régime d’appels d’offres utilisé par le gouvernement ontarien en 2004 et 2005. Les tarifs de rachat correspondent également mieux à la réalité du réseau de distribution ontarien, très fragmenté. Sur la centaine de compagnies de distribution ontariennes, plusieurs d’entre elles seraient trop petites pour pouvoir mettre en œuvre un programme comme les Renewable Portfolio Standards (RPS), qui obligent les fournisseurs d’électricité à obtenir un pourcentage déterminé de leur énergie de sources renouvelables.

Par ailleurs, l’Ontario a décidé de faire une révision de son système tous les deux ans, geste prudent qui permet une évaluation constante de la justesse des prix et de la robustesse du programme.

Le prix supérieur accordé à l’énergie photovoltaïque devrait permettre une croissance de cette filière, qui aurait tout simplement été laissée pour compte si le tarif de base s’y était appliqué. Le tarif de 42 ¢/KWh est inférieur à celui en vigueur dans l’État de Washington (71 ¢/KWh), en Allemagne, en France, en Italie et en Autriche. Il sera intéressant de voir à quel point le tarif ontarien sera suffisant afin de faire mousser la production PV, mais déjà l’achat de panneaux solaires a connu une croissance de 400% au Canada dans la première moitié de 2006. L’Association des industries solaires du Canada estime que cette croissance est directement liée au programme d’offre standard ontarien, et prévoit une capacité installée de 40 MW en Ontario d’ici 2011.


…mais pouvant être amélioré

Malgré l’aspect avant-gardiste du programme ontarien, plusieurs pays européens vont encore plus loin. Selon l’Ontario Sustainable Energy Association, une plus grande flexibilité des tarifs permettrait d’améliorer encore davantage ce système. Une différentiation des tarifs selon l’intensité des ressources éoliennes permettrait de mieux distribuer le développement des projets. Une meilleure répartition aurait comme avantage de moins surcharger certains réseaux de distribution mais aussi d’augmenter l’acceptabilité locale des projets, qui seraient moins concentrés dans quelques régions clés. Il faudrait pour cela augmenter le tarif accordé à des sites moins riches en vent et diminuer celui donné aux sites où les vents sont de très haute qualité.

Cette stratégie est déjà appliquée en France, où les « tarifs intelligents » de rachat dépendent de plusieurs facteurs, notamment l’intensité des ressources, l’âge des installations et la région où le projet est réalisé. Selon M. Gipe, l’Ontario s’est donc inspirée des offres standards californiennes des années 1980 plutôt que des tarifs de rachat avancés de l’Europe actuelle.

Si les États américains adoptent de manière croissante les RPS, l’Ontario a plutôt choisi d’instaurer le premier programme de tarifs de rachat en Amérique du Nord. Les yeux sont maintenant tournés vers la plus importante province canadienne afin de voir si l’expérience fonctionnera…

> Pour en savoir plus
[programme d’offre standard]
[site web de Paul Gipe]
[Association des industries solaires du Canada]


Énergies renouvelables
États-Unis : L’IRS innove dans le financement des énergies renouvelables

Le Service des revenus des États-Unis (Internal Revenue Service) vient d’annoncer l’allocation de 800 millions $ en crédits d’impôts pour plus de 600 projets d’énergie renouvelable, dont 434 installations d’énergie solaire.

L’IRS a autorisé l’émission d’obligations d’énergie propre et renouvelable (Clean Renewable Energy Bonds, CREBs) par différentes instances gouvernementales (États, villes, gouvernements autochtones) ainsi que par des coopératives de production électrique. Ces obligations, sont ensuite vendues à des investisseurs, qui, au lieu de recevoir des paiements d’intérêts, recevront plutôt des crédits d’impôts.

Les CREBs se veulent donc une nouvelle forme d’incitatif foncier pour les instances gouvernementales et coopératives dans le domaine des énergies renouvelables, crédits qui, jusqu’à récemment, existaient seulement pour les entreprises privées .

La durée des CREBs sera évaluée au cas par cas, selon la valeur des CREBs et le taux d’intérêt en vigueur au moment de l’émission des obligations. Il est estimé que la durée moyenne des obligations sera entre 11 et 14 ans.

L’IRS a reçu des demandes totalisant une valeur de 2,6 MM$, mais l’Energy Policy Act de 2005, la loi qui a mené à la mise en place des CREBs, avait déterminé une limite de 800 M$, dont un maximum de 500 M$ aux instances gouvernementales.

Les petits projets ont été systématiquement favorisés, ce qui explique probablement pourquoi 72 % des projets retenus touchent la filière solaire, qui se prête mieux à des projets à petite échelle. Des installations éoliennes (112), hydroélectriques au fil de l’eau (14) et de production électrique grâce à la biomasse (13) ont également été approuvées.

> Pour en savoir plus
[communiqué]
[article]
[Que sont les CREBs ?]


Énergie solaire
Cellules PV : un rendement record qui dépasse 40 %

La compagnie Spectrolab, en collaboration avec le Département de l’énergie des États-Unis, a produit un concentrateur PV qui convertit 40,7 % de l’énergie solaire qu’elle reçoit en électricité. L’ancien record était de 37 %, établi par le même fabricant.

À titre comparatif, les panneaux traditionnels fournissent un rendement maximal de 26 % en laboratoire et de 17 % pour les productions industrielles.

Cette performance sans précédent est due à la structure unique de la cellule PV, appelée multijonctions. Elle est constituée de plusieurs couches qui chacune absorbe une partie du spectre des rayons solaires, de l’infrarouge à l’ultraviolet. Spectrolab va commercialiser dès 2007 des cellules triples jonctions d’une efficacité de 30 %.

Selon le Département de l’énergie, cette percée permet d’envisager des installations dont les coûts seraient de seulement 3$/W, qui produiraient de l’électricité à un coût évalué entre 8 et 10 ¢/kWh. L’objectif du Département est de fournir de l’électricité PV à un ou deux millions de foyers à l’horizon 2015, à un coût se trouvant entre 5 et 10 ¢/kWh.

> Pour en savoir plus
[communiqué DOE]
[communiqué Spectrolab]





Nairobi : un échec temporaire ?

La Conférence de Nairobi s’est conclue bien discrètement le 17 novembre, laissant plusieurs observateurs déçus malgré les faibles attentes entourant cette première grand-messe climatique en Afrique sub-saharienne. Peu de progrès, même modestes, peuvent être soulignés à l’issue de cette douzième Conférence des Parties de la CCNUCC et deuxième Réunion des Parties au protocole de Kyoto. Retour sur une assemblée qui a souligné l’important décalage entre la science et la politique internationale sur les changements climatiques.


Quelques notes positives

Les avancées entourant le programme sur l’adaptation (qui porte dorénavant le nom de Nairobi et non plus de Buenos Aires) et une répartition plus équitable des projets MDP doivent être mentionnées. Dans le même sens, les pays les moins développés sont parvenus à inclure dans une des décisions adoptées à Nairobi une référence explicite à des ressources financières qui leur serviraient de « frais de démarrage » pour des projets MDP.

Le dynamisme des discussions en matière de lutte contre la déforestation est également un bon signe. En effet, la contribution du secteur de l’utilisation des sols et de la foresterie aux émissions anthropiques mondiales de GES est évaluée à 20 %. Ce secteur a pourtant été négligé depuis le début des négociations sur les changements climatiques. Toutefois, les pays du Sud se sont graduellement appropriés un dossier central où ils peuvent directement contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Ces pays se penchent maintenant sur la manière dont ils pourraient obtenir un financement des Parties de l’Annexe I afin de les aider dans leurs campagnes locales et régionales contre la déforestation. Il faut donc applaudir cette participation proactive plutôt que défensive ou strictement réactive.

C’est la Papouasie Nouvelle-Guinée qui a relancé le débat à Montréal en proposant que la Conférence des Parties se penche sur les options qui permettraient de mieux lutter contre la déforestation tropicale. Certains pays proposent des incitatifs financiers « positifs » à court terme, d’autres préfèrent la mise en place d’une approche basée sur le marché ou encore des investissements accrus via l’aide officielle au développement des pays industrialisés. Les négociations n’ont toutefois pas permis d’identifier une approche précise, sauf en ce qui a trait à la proposition brésilienne.

Le Brésil préférerait des paiements issus d’un fonds financé par les pays du Nord pour réduire la déforestation. De cette manière, insiste Brasilia, les gains environnementaux seraient supérieurs puisqu’ils s’ajouteraient aux réductions des pays de l’Annexe I plutôt que de s’y substituer. Alors que plusieurs pays occidentaux sont déjà aux prises avec une croissance incontrôlée de leurs émissions de GES, il est difficile de voir la proposition brésilienne mise en œuvre dans un avenir prévisible. D’autre part, la mise en place d’une approche s’appuyant sur le marché du carbone nécessiterait une quantification rigoureuse de la déforestation évitée, ce qui n’est pas acquis, malgré les progrès méthodologiques et technologiques réalisés à cette fin.


Une transition…vers quoi ?

Nairobi était présentée comme une réunion de transition ; peu d’espoirs, donc, de voir de grands bonds effectués vers la mise en place de balises pour un régime post-2012. Malgré tout, le blocage constaté dans plusieurs dossiers clés peut difficilement engendrer autre chose que du pessimisme face à l’avenir des négociations internationales sur les changements climatiques.

Alors que les processus et dialogues se multiplient pour négocier la suite du protocole de Kyoto, aucun d’entre eux ne semble pour l’instant porteur d’un engagement international envers la lutte contre les changements climatiques de la part des acteurs essentiels, soit les pays développés, y compris les États-Unis, l’Australie et la Russie, et les grands pays en développement (PED), minimalement la Chine, l’Inde, le Brésil mais préférablement l’Indonésie, la Corée du Sud, le Mexique et l’Afrique du Sud en plus.

L’insistance des États-Unis, du Canada et du Japon pour que les grands PED acceptent des concessions est prématurée : ces compromis ne pourront être réalisés que lorsque les pays industrialisés auront démontré leur sérieux dans la lutte contre les changements climatiques. C’est d’ailleurs là que réside le compromis à la source même du protocole de Kyoto : les pays de l’Annexe I acceptent de réduire leurs émissions de GES lors de la première phase, et les PED se joignent à eux par la suite.

Nicholas Stern, auteur du rapport portant son nom sur les conséquences économiques potentielles des changements climatiques, était présent à Nairobi pour souligner le danger que ce phénomène représente pour l’économie mondiale. Parallèlement, l’Agence internationale de l’énergie confirmait que les investissements colossaux prévus dans le secteur énergétique au cours des prochaines décennies vont entraîner une augmentation vertigineuse des émissions mondiales de GES.

Alors que les économistes et les scientifiques s’entendent pour dire que les émissions de GES doivent être fortement réduites à court terme, les victoires « morales » et les progrès relatifs dans la sphère politique sonnent de plus en plus faux. Il faut espérer que les avancées des dernières années, réelles mais limitées, atteindront bientôt un seuil critique qui permettra de véritablement renverser la tendance au niveau des émissions de GES. Alors que le secteur privé et les pays du Sud sont plus que jamais impliqués dans la lutte contre les changements climatiques, cette possibilité n’est plus aussi illusoire qu’elle a déjà pu paraître.

> Pour en savoir plus
[Site de la Conférence de Nairobi]
[Bulletin des négociations de la Terre]
[Compte-rendu du Centre Pew]


Système d’échange de quotas d’émission : Bruxelles rappelle à l’ordre les pays de l’UE

La Commission européenne a rabroué la plupart de ses pays membres afin d’éviter une nouvelle allocation trop généreuse de quotas d’émission pour les secteurs industriels, comme ça été le cas dans la première phase (2005-2007) du système communautaire d’échange de quotas d’émission. En se basant sur des prévisions de croissance économique trop optimistes, plusieurs pays ont effectivement émis plus de permis que leurs secteurs industriels avaient besoin, créant ainsi un surplus de crédits disponibles sur le marché du carbone.

État membre Allocation
réclamée par
les membres
Allocation
accordée par
la Commission
Allemagne482453.1
Grèce75.569.1
Irlande22.621.15
Lettonie7.73.3
Lituanie16.68.8
Luxembourg3.952.7
Malte2.962.1
Slovaquie41.330.9
Suisse25.222.8
Royaume-Uni246.2246.2
Bruxelles espère avoir rectifié la situation en abaissant les allocations pour la seconde période (2008-2012) de neuf des dix pays ayant jusqu’à maintenant soumis leurs plans nationaux (voir tableau 1). Ainsi, la Lettonie s’est vu attribuer 3,3 millions de crédits alors qu’elle en demandait 7,7. La Lithuanie (8,8 millions plutôt que 16,6) et la Slovaquie (30,9 millions contre 41,3) ont également reçu des allocations beaucoup plus faibles que réclamées initialement. Seule la Grande-Bretagne a vu sa demande pour 246,2 millions de crédits acceptée comme telle.

Plusieurs pays comme le Danemark, l’Italie et l’Espagne, n’ont pas encore déposé leur plan national d’allocation, qui était dû le 30 juin dernier. La Commission a engagé des procédures d’infraction auprès de ceux-ci afin de leur forcer la main.

L’Allemagne a déposé son plan mais s’est vue imposée plusieurs modifications, notamment en ce qui a trait à son allocation de crédits, qui a été réduite de 6 %. Le plus grand émetteur de GES en Europe n’a pas apprécié les remontrances publiques de Bruxelles : le ministre de l’Économie a dénoncé les modifications demandées au plan national d’allocation comme « inacceptables » et affirmé que Berlin était même prêt à faire face à des mesures judiciaires de la Commission.


Apprendre de ses erreurs

Ce resserrement des plans d’allocations par la Commission est directement relié à la chute du marché européen du carbone le printemps dernier lorsque les données de 2005 ont révélé l’ampleur de la surallocation lors de la première phase du système communautaire, phase qui s’achèvera en 2007. La valeur d’une tonne d’équivalent de CO2 est passée de près de 30 € en mars à environ 7 € début décembre.

La Commission cherche à redonner une crédibilité à son système d’échange de quotas, qu’elle considère comme son « principal instrument pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés en vertu du protocole de Kyoto ». Bruxelles ainsi que certains observateurs soulignent que la première phase a toujours été présentée comme une période d’essai et que le système d’échange de crédits de SO2 aux États-Unis a également été affligé par des périodes de volatilité importante, qui sont typiques des jeunes marchés.

Il n’en demeure pas moins que le système européen a attiré des investissements massifs depuis sa création il y a bientôt deux ans : 18,8 MM US$ y ont été injectés durant les trois premiers trimestres de 2006. La pression est donc plus forte afin que le marché livre la marchandise, et c’est pourquoi tous les yeux sont dorénavant tournés vers la valeur des crédits pour 2008. Il est effectivement possible d’acheter des crédits qui seront livrés en 2006, 2007 ou 2008 ; ces derniers ont conservé une meilleure valeur parce qu’il s’agit de la première année qui « compte » dans le cadre du protocole de Kyoto. Les engagements de réduction sont plus sévères que durant la période 2005-2007, ce qui fait augmenter la demande pour les crédits, et donc met une pression à la hausse sur le prix de ceux-ci.

De plus, plusieurs pays ont annoncé leur intention de vendre aux enchères une portion des crédits qu’ils alloueront pour la seconde période. Plutôt que de les fournir gratuitement aux entreprises visées par le système communautaire, la Grande-Bretagne et la France veulent respectivement vendre 7 % et 10 % des crédits. Cette stratégie cherche à éviter les bénéfices exceptionnels réalisés par certaines compagnies d’énergie, qui ont vendus sur le marché du carbone leurs crédits excédentaires, sans toutefois avoir eu besoin de réduire leurs émissions…

Certains experts ont dénoncé la surallocation dans le cadre de la phase initiale comme la preuve qu’une taxe sur le carbone serait plus simple et efficace afin de réduire les émissions de GES en Europe. La Commission européenne espère pour sa part avoir trouvé un juste équilibre avec les plans nationaux d’allocation maintenant amendés qui devraient selon Bruxelles permettre au marché du carbone de financer à moindres coûts de véritables réductions de GES.

> Pour en savoir plus
[Communication de la Commission UE]
[article]
[JIQ- Évaluation de la première phase]


France : les petits émetteurs entrent sur le marché du carbone

Le gouvernement français a décidé d’inciter financièrement les petits émetteurs de GES à investir dans des projets de réduction de leurs émissions grâce à un système d’achat de crédits.

Agriculteurs, compagnies de taxis, transporteurs routiers ou encore prestataires de services énergétiques, entre autres, pourront vendre leurs « permis » de CO2 à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) correspondant aux émissions évitées, une fois les réductions effectivement constatées. Le prix de rachat des permis, fixé d’avance, sera déterminé le mois prochain.

L’arrêté ministériel autorisant l’appel à projet sera publié dès la mi-janvier 2007. Parmi les projets éligibles, on peut citer par exemple, dans le secteur de l’agriculture, la mise en place d’une installation de méthanisation du lisier, ou encore dans le domaine du chauffage, le fait d’opter pour une chaudière à bois plutôt qu’au gaz.

La CDC assume les risques financiers et se dit prête à s’engager sur l’achat d’un million de tonnes de CO2 par année, pendant cinq ans.

L’ensemble de ces acteurs économiques représente plus de 60 % du total des émissions françaises de GES. Philippe Quirion, président du Réseau action climat France, souligne que ce programme va dans le bon sens. Mais selon lui, l’engagement d’achat d’un million de tonnes par an ne résout pas le problème puisque cela ne représente que 0,2 % des émissions françaises.

Le ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, Thierry Breton, considère « qu’en donnant un prix au carbone dans tous les secteurs de l’économie, la France se dote d’un levier supplémentaire pour accélérer la diffusion des technologies les plus performantes pour le climat ». Il prévoit « que les projets domestiques vont permettre un formidable apprentissage collectif et donner une longueur d’avance à nos entreprises dans le secteur des technologies propres ».

La France est le deuxième pays, après la Nouvelle-Zélande, à lancer une telle initiative.

> Pour en savoir plus
[article]
[communiqué]


La Cour Suprême des États-Unis face aux changements climatiques

Pour la première fois de son histoire, la Cour Suprême des États-Unis devra statuer sur un cas qui touche directement les changements climatiques. L’État du Massachusetts, 12 autres États, des villes et des groupes environnementaux veulent forcer le gouvernement fédéral à réglementer les émissions de GES des voitures.

Plus précisément, c’est l’Agence de protection de l’environnement (EPA), avec l’appui de plusieurs États, qui se défend en affirmant qu’elle n’a pas le pouvoir de limiter les émissions de GES, et que même si elle en possédait l’autorité, elle ne le ferait pas à cause de l’incertitude scientifique qui, selon elle, entoure les changements climatiques.

Chaque côté a présenté son point de vue devant les neuf juges de la plus haute instance judiciaire des États-Unis à la fin du mois de novembre. Les débats ont surtout porté sur la validité légale de la poursuite. Afin de pouvoir poursuivre en cour de justice, une partie doit clairement démontrer qu’elle a subi un tort, et qu’une décision favorable de la cour servira à y remédier.

Les juges les plus conservateurs de la Cour Suprême ont exprimé des doutes importants quant à l’imminence du danger que représentent les changements climatiques pour l’État du Massachusetts, mais également par rapport à l’impact réel qu’aurait une réglementation plus ferme par l’EPA des émissions de GES des voitures américaines sur le dérèglement climatique.

D’autres juges ont plutôt exprimé leur accord avec l’argument de l’État de la Nouvelle-Angleterre voulant que l’élévation du niveau de la mer causé par les changements climatiques représente un danger pour les côtes de l’État, et pour celles de plusieurs autres États de la côte-est américaine. Selon eux, la question est de savoir si une réduction des émissions de GES permettrait de diminuer les dommages causés au plaignant, et la réponse semble être positive. Une décision dans ce dossier n’est pas attendue avant l’été 2007.

Il est intéressant de noter que la position adoptée par l’EPA sous l’administration actuelle face à la responsabilité et aux pouvoirs de l’agence de diminuer les émissions de GES est contraire à celle prônée par l’EPA à la fin des années 1990 sous l’administration Clinton/Gore.

Selon plusieurs observateurs toutefois, même si la Cour Suprême conclut que l’EPA possède l’autorité de réglementer les émissions de GES sous le Clean Air Act, il est très improbable que le jugement oblige l’agence à réglementer ces substances.

Un verdict contre l’EPA aurait par contre un impact direct sur un autre dossier actuellement en cour mais qui attend la décision de la Cour Suprême dans le cas impliquant le Massachusetts. Ce dernier porte sur l’opposition par l’EPA à une réglementation des émissions de GES provenant des centrales électriques dans le cadre du New Source Review, une section du Clean Air Act qui oblige les centrales électriques à installer la meilleure technologie anti-pollution disponible sur le marché lorsqu’elles apportent des changements à leurs installations qui dépassent l’entretien de routine.

Après des années d’efforts, en vain, afin de convaincre le Congrès et la Maison-Blanche de réduire les émissions de GES américaines, plusieurs acteurs (États, villes, ONGE) se tournent maintenant vers les cours de justice pour en arriver à leurs fins. C’est exactement ce dessein clairement « politique » qui font dire à certains juristes, dont plusieurs sont favorables à une réglementation des GES, que l’objectif de la poursuite est louable mais que les efforts devraient être orientés vers le Congrès, où les démocrates sont nouvelles majoritaires, plutôt que dans une poursuite devant la Cour Suprême. D’autres soulignent par ailleurs que ce ne serait pas la première, ni la dernière fois, que la sphère juridique jouerait États-Unis un tel rôle dans un dossier éminemment politique.

> Pour en savoir plus
[Transcriptions des arguments présentés devant la Cour Suprême]
[article]
[article]